Ski de Randonnée Nordique en Aubrac: rencontres royales dans le blizzard
Boucle Prinsuéjols - étang de Baume 9K
Par Angstrom
L'Aubrac est un plateau granitique et basaltique du massif central au caractère nordique indéniable dès qu'il est recouvert de neige. L'évolution du climat a provoqué la raréfaction et l'espacement des épisodes hivernaux qui marquent et façonnent même l'identité de ce pays. Mais dès que les conditions s'y prêtent et que nous sommes disponibles, nous y montons - de préférence pour une week-end - à la recherche d'un dépaysement radical et de l'opportunité d'y pratiquer un ski réellement nordique avec un relief rebondi mais pas plat très agréable. C'est le terrain de SRN le plus proche de Montpellier.
C'est à Nasbinals au gîte d'étape du Sorbier que nous avons posé les sacs à dos pour 2 jours de rando nordique mémorables malgré une météo dantesque qui nous a privés des vues époustouflantes sur les sommets du Cantal au Nord, des Monts de la Margeride et du Lozère vers l'Est et même du Mont Aigoual plus au Sud dont on bénéficie par beau temps.
C'est à Nasbinals au gîte d'étape du Sorbier que nous avons posé les sacs à dos pour 2 jours de rando nordique mémorables malgré une météo dantesque qui nous a privés des vues époustouflantes sur les sommets du Cantal au Nord, des Monts de la Margeride et du Lozère vers l'Est et même du Mont Aigoual plus au Sud dont on bénéficie par beau temps.
Les 12 coups de midi puis l’angélus sonnent au beau clocher-mur de l’église de Prinsuéjols quand nous entamons cette balade. Le vent tempétueux souffle depuis 2 jours sur le plateau mais il me semble encore plus fort aujourd’hui. La DDE a sorti la fraise pour souffler à 15 mètres dans les nuages les congères en formation sur la départementale. La commune se charge quant à elle de déneiger les chemins communaux et le village. Ce matin, nous avons passé 2 heures sur les routes à nous battre contre des congères, à secourir des voitures plantées dans la tourmente, ce qui nous a mis bien en retard pour cette randonnée initialement prévue au départ d'Usanges, inaccessible par la D32.
Dans ces conditions, l'idée est de partir au début vers le Sud donc vent dans le dos alors que nous serons sur les hauteurs exposées, en lisière de plateau, pour bifurquer ensuite vers le Sud-Est dans des vallons où les bois cassent le vent et terminer la boucle le plus possible à couvert ou sous le vent du relief.
Les derniers clients prennent l’apéro dans le petit café du village. La tentation d’y prendre un bon chocolat chaud ou un café avant de nous engager dans la tempête, ma curiosité pour ce bar de village, relique d’une époque presque révolue, mon désir d’une rencontre improbable avec les locaux qui affrontent le blizzard pour s’y retrouver en ce dimanche midi me font hésiter à y entrer mais je résiste. Nous passons notre chemin. Nous devons rapidement sortir les cache-nez et les masques; la neige qui cingle le visage nous y oblige : impossible de garder les yeux suffisamment ouverts pour voir où on met nos spatules sans les protéger. Ce tronçon vent 3/4 de face est court mais inévitable. Pas le temps de prendre vraiment froid, d’autant qu’il est un peu raide et qu’on lâche quelques watts pour rejoindre rapidement le replat où un virement de bord nous place face au Sud vent arrière. C’est beaucoup mieux.
Quelques centaines de mètres plus loin, une clôture ouverte nous invite à franchir une étroite plantation de conifères. Je n’avais pas décidé de l’endroit précis où nous laisserions le GR de Pays Tour de l’Aubrac et la bordure exposée du plateau mais celui-ci est parfait puisqu'il nous évitera un franchissement de clôture. La plantation fait moins de 100m, elle est vite traversée. Nous ressortons dans une prairie cultivée recouverte d’un manteau immaculé. Ou presque... 2 pointes recourbées au-dessus de ce qui ressemble à des têtes sans corps sont visibles à plus de 100m : quelques secondes plus tard, les chevreuils se dressent et s’encourent en bondissant. La glisse vent dans le dos est très agréable. La neige est excellente.
5 minutes plus tard, alors que nous progressons désormais dans une prairie naturelle où les arbres bien que clairsemés sont assez nombreux, un magnifique cerf s’enfuit sous nos yeux en longues foulées. L’animal est majestueux. Sa tête couronnée de bois fins mais intimidants et son poitrail gonflé d’orgueil lui confèrent une silhouette altière. Il est bien le roi de ces lieux. C’est la première fois que nous rencontrons un cerf et même que nous en voyons dans la nature. La surprise puis l’émotion nous ont figés. Médusés, nous le fixons et le suivons du regard jusqu’à ce qu’il disparaisse derrière un paravent d’arbres puis s’évanouisse dans la nature monochrome. Nous reprenons nos esprits et la progression. Quelques mètres plus loin nous découvrons sa litière en forme de bassine dans la neige sous le pin où une large branche basse abritait le Seigneur des lieux. Les traces de sa fuite sont impressionnantes, tant par le diamètre des sabots que par la distance qui sépare 2 foulées. Nous venons de vivre un instant rare. Catherine et moi avons besoin de verbaliser et partager l’émotion provoquée par cette rencontre éphémère vécue ensemble, pour la prolonger et l’imprimer dans le roman de nos expériences dans la nature.
La recherche du meilleur itinéraire donne du piquant à cet exercice que j’affectionne : la progression en terrain inconnu, à la carte (et quelques fois la boussole). Même sur une TOP 25 récente, toutes les indications ne sont pas fiables : les clôtures n’y sont pas systématiquement marquées ; des bois peuvent avoir été coupés pour laisser place à des friches, plus ou moins skiables. Sans parler de la nature des clôtures qui, combinée à la hauteur de neige, la présence d’une congère, la hauteur d’un muret les rendent plus ou moins franchissables. Une bonne lecture du terrain pour choisir une progression dans la direction choisie est indispensable. Tracer sur EditGPX puis suivre bêtement son GPS n’est pas faisable. Tant mieux.
C’est ainsi que nous progression au ressenti en direction de l’étang de la Baume que je me suis donné comme limite Sud à cette sortie que nous ne souhaitons pas trop longue. Nous parviendrons à trouver le chemin agricole repéré sur la carte qui y mène. La neige y est excellente, le vent modéré et la progression très agréable. Catherine se plaît à tracer et je suis derrière. Le pied.
Alors que nous approchons du hameau de Trémouloux, nous sommes surpris une nouvelle fois par 2 cerfs mâles dont la silhouette athlétique se détache du talus au-dessus de nous vers l’Ouest où ils filent, cette fois-ci distants d’au moins 100m. Encore une vision fugace mais marquante. Quelle veine ! 3 rencontres en quelques kilomètres ! Décidément, sortir dans la tempête procure de sacrées émotions !
Pour revenir à notre point de départ, nous éviterons de suivre le balisage du GR de pays. Dans le hameau, nous remontons et retrouvons la bise qui fouette et nous glace le visage. Notre progression s’apparente à un parcours complet dans lequel les obstacles sont les clôtures, quelques fois à 4 niveaux de barbelés, et même parfois des murets de pierre surmontés d’un barbelé. Devant l’un d’eux et sans autre option repérée, je me trouve contraint de grimper prudemment jusqu’au sommet du muret où une certaine couche de neige me permet de tenir sur mes 2 skis (à peine). Comment descendre maintenant ? Pas d’autre solution que de prendre un appui ferme et de sauter de l’autre côté. Exercice périlleux qui, pour que ça se termine bien, suppose que les 3 conditions suivantes soient toutes remplies : 1) que je m’élève au-dessus du barbelé supérieur sans l’accrocher 2) que mon impulsion se fasse autant de côté que vers le haut de manière à me décaler complètement au-delà de la verticale du pied du muret de granit 3) qu’en l’air je conserve mes skis en position (parallèles et horizontaux) me permettant d’atterrir sans provoquer de casse, ni des skis ni du bonhomme.
Toutes ces conditions ne dépendent que de ma concentration et de la bonne exécution du geste ; la dernière uniquement de la chance : qu’aucun gros caillou invisible ne se trouve recouvert à l’endroit où mes 2 lattes (et moi-même) s’écraseront dans la neige, après un bond d’environ 70 à 80 cm (la hauteur du muret). Je me concentre quelques secondes, déroulant tous les gestes dans ma tête plusieurs fois. Hop ! Exécution !!
Atterrissage OK. Pas de bris de ski, de cheville ou de genou tordu. Ouf, tout s’est bien passé.
Je regarde ma femme qui me semble un peu interloquée mais finalement elle-même assez empêtrée pour se préoccuper avant tout de franchir elle aussi cet obstacle coriace. Sans surprise, elle a choisi une stratégie différente : elle a déchaussé. Je n’ai pas vraiment vu comment elle s’en est sortie, mais 50 m plus loin nous devons nous arrêter car elle botte. Au pied du muret, le talon de son ski s’était enfoncé à un endroit où la tourbière, sous la neige, était traversée par un filet d’eau : une croute de glace s’est immédiatement formée et son ski botte, inévitablement. Nous sommes encore au fond de cette tourbière, à peine protégés du vent par un gros sapin. Je dois enlever les gants pour sortir un couteau et gratter soigneusement la semelle sans l’abîmer mais sans y laisser non plus le moindre centimètre carré de glace. Pas si simple mais j’y suis arrivé finalement sans trop de mal. La progression peut reprendre en remontant vers la ferme du Bouchet, où il nous restera à peine 1 km.
Nous aurions pu encore tenter de progresser dans les champs mais compte tenu de l’heure, nous choisirons de rentrer par la route, toute recouverte évidemment de neige (et sans gravillons), solution moins sympa mais plus rapide car on peut y skier sans problème en restant sur le côté. Le seul véhicule que nous croiserons sur la D73 près du nouveau cimetière de Prinsuéjols sera le chasse-neige qui revient faire son circuit de déneigement de la commune pour la troisième fois de la journée. La boucle est bouclée après presque 9 km d’une sortie exceptionnelle, non pas par le ski – qui fut très agréable dans les parties un peu abritées où la neige était parfaite – mais par l’ambiance et bien sûr l’émotion ressentie lors des rencontres avec les cervidés. Au départ j’avais envisagé l’hypothèse d’une rencontre fortuite avec un loup en quête d’un casse-dalle mais non, pas de petit chaperon rouge à vous raconter cette-fois-ci. Peut-être pour la prochaine fois, lors d’une sortie de rando nordique sur ce secteur en lisière du plateau de l’Aubrac où je sais par expérience qu’ils sont présents (et que le gibier ne manque pas) ?